Sergio Adrian Hernandez, un mexicain âgé de 14 ans, est mort lundi sous les balles d’agent(s) de la Border Patrol américaine. Son corps a été retrouvé sous le pont qui rallie Ciudad Juarez et El Paso (Texas). Depuis, les témoignages contradictoires se multiplient et les accusations à peine voilées fusent de part et d’autre du Rio Bravo. Le FBI soutient la thèse de la légitime défense alors que les autorités mexicaines affirment qu’il s’agit d’un « usage disproportionné » de la force. Retour sur un fait divers tragique qui a ranimé le débat sur l’immigration entre Mexique et Etats-Unis.
Circonstances troubles
Le déroulement des événements qui ont débouché sur la mort de Sergio restent extrêmement confus à ce jour…
Pourquoi était-il présent sur les rives du fleuve frontalier avec un groupe d’amis ? Sa mère affirme que c’était juste pour jouer et déjeuner. « Il n’allait pas traverser vers El Paso, ce n’est pas vrai, il était ici, au Mexique ». Du côté de la police des frontières américaines pas de doutes : les jeunes gens tentaient de passer illégalement sur les terres de l’Oncle Sam, une thèse corroborée par le FBI qui parle d’« étrangers clandestins présumés ». Mais un témoin de la scène certifie avoir vu le groupe et qu’aucun des adolescents n’avait sur lui bagages, paquets ou armes, « juste les vêtements qu’ils portaient ». Si l’information est confirmée, elle tendrait à désavouer les gardes-frontière américains.
Qui a ouvert le feu, et pourquoi ? Un rapport préliminaire de la patrouille frontalière d’El Paso indique que les agents patrouillaient à vélo quand ils ont « été attaqués avec des pierres par un nombre inconnu de personnes. Au cours de l’assaut, au moins un agent a fait usage de son arme. L’agent est actuellement mis à pied ». La version des membres du groupe, à laquelle adhère un policier arrivé sur les lieux, n’est pas vraiment raccord. Ils auraient franchi le Rio Bravo par erreur et été surpris par la patrouille. Ce serait pendant que les jeunes retournaient vers le Mexique que « deux agents [auraie]nt utilisé leurs armes en s’approchant du bord [du fleuve] ».
Y a-t-il eu violation de territoire, et si oui, par qui ? Un porte-parole du procureur de l’état de Chihuahua a déclaré qu’une cartouche usagée de calibre 40 avait été trouvée près du corps du jeune homme. Une allégation qui sous entend fortement que les patrouilleurs américains auraient traversé le fleuve, donc la frontière, alors qu’ils n’y sont pas autorisés. Réponse d’un officiel américain souhaitant rester anonyme : il serait en possession d’une vidéo montrant des policiers mexicains traversant le Rio Bravo pour « récupérer un objet indéterminé ». Là aussi, l’accusation sous-jacente est claire : on essaierait d’accabler la police des frontières en manipulant des preuves.
L’enquête en cours devrait déterminer la trajectoire des balles et ainsi contribuer à éclaircir cette sombre affaire. Reste à savoir si les polices des deux pays pourront collaborer pour démêler cet imbroglio.
Contexte et texte con
On l’a vu, les circonstances autour du décès de Sergio Adrian Hernandez sont extrêmement troubles pour le moment. Mais la mort d’un adolescent à Juarez, ville la plus dangereuse du Mexique, ne soulève pas toujours autant d’attention, et certainement pas une intervention du président Felipe Calderòn. En fait, plusieurs éléments ont transformé ce fait-divers en affaire d’Etats.
Même si le P.I.B par habitant est passé d’environ 6800 euros à près de 8500 euros, le Mexique conserve une économie fragile, surtout dans les régions frontalières. Royaume des trafics en tous genres en direction des USA, l’extrême Nord du pays est aussi la terre des maquiladoras où les entreprises américaines s’offrent une main d’œuvre bon marché. Des conditions de vie entre violence et précarité qui poussent chaque année des milliers de travailleurs à traverser le Rio Bravo vers l’herbe forcément plus verte du côté américain. Les mexicains constituent les trois quarts des 12 millions d’immigrants illégaux vivant aux Etats-Unis, voire même 80% selon certaines sources gouvernementales.
Le jeune mexicain est le second à décéder de la main d’agents de la Border Patrol en deux semaines. Le 1er juin, entre Tijuana et San Diego, un homme de 32 ans avait succombé aux impulsions électriques infligées par les gardes-frontières. Depuis le début de l’année, 17 mexicains ont été blessés ou tués par ces patrouilles. Un nombre en augmentation constante comme l’a rappelé le ministère des affaires étrangères, puisqu’il était de 12 en 2009 et de 5 en 2008.
Sordide coïncidence ou conséquence ? La mort de l’adolescent intervient à quelques jours de l’annonce par Obama de l’envoi de 1200 soldats supplémentaires pour garder la frontière entre USA et Mexique. Ils n’étaient auparavant « que » 17 000 pour surveiller quelques 3 200 kilomètres.
Autre charbon attisé par l’évènement : la loi dite SB1070 votée il y a peu par l’Arizona sous les huées des défenseurs des droits de l’homme. Elle devrait entrer en vigueur fin juillet, mais sa constitutionnalité est déjà mise en doute. Pour faire bref, la loi stipule que les policiers pourront désormais demander un justificatif de présence sur le sol américain à toute personne « soupçonnée d’être un immigrant illégal ». Un texte xénophobe qui entérine dans les faits le ‘délit de faciès’ pratiqué dans notre pays depuis belle lurette.
Les chefs d’Etats du Mexique et des Etats-Unis s’étaient rencontrés il y a deux semaines et avaient justement discuté, entre autres, des problématiques d’immigration et de sécurité des frontières. Au cours de la conférence de presse commune, Felipe Calderòn avait déjà exprimé son souhait d’un plus grand respect des droits cils de ses ressortissants sur le sol américain, légaux ou non. Quant à Barack Obama, il avait promis de mettre en place un débat pour une loi fédérale humaine et responsable sur l’immigration, promesse qu’il avait déjà faite lors de sa campagne électorale.
De nouvelles statistiques recueillies par le FBI et par l’Université de Boulder au Colorado, concordent en ce point : l’assimilation immigration / criminalité est plus qu’une exagération irraisonnée, c’est une contre vérité. Non seulement le taux d’immigrants (légaux ou illégaux confondus) ne fait pas croître celui de criminalité, il le ferait même baisser. Par exemple, les crimes violents ont diminué de 35.1 % entre 1994 et 2004, période pendant laquelle l’immigration illégale a doublé.