Tout comme moi, petit curieux de l’information, vous avez dû voir ou entendre parler de cette exposition de Takashi Murakami au château de Versailles. Ici et là, la critique s’est déchaînée avant même son ouverture, rappelant la précédente exposition dans les mêmes lieux investis par Jeff Koons.
Avant-garde
Une critique qui se ligue contre une forme d’art contemporain trop commerciale à son goût, trop tape à l’œil, qui n’a sa place nulle part, encore moins à Versailles. Mais sur quel critère peut-on juger ce qui est présentable, à quel endroit et dans quelle circonstance ? L’art n’est-il pas une avant-garde de son époque ? Avant-garde : un terme militaire à l’origine, ceux qui étaient en première ligne pour une mort quasi certaine… Est-ce aussi facile que cela d’exposer dans des lieux chargés d’histoire ? Si la facilité était leur mot d’ordre, Takashi Murakami exposerait dans les salons dédiés uniquement aux mangas, et Jeff Koons dans des parcs d’attractions.
Certes les œuvres de Takashi Murakami ont un effet manufacturé, mais il a bien dû pour cela les imaginer. Sortir ses crayons ou sa planche graphique pour les mettre en image. Lorsque nous voyons des fleurs géantes colorées au milieu des couloirs de Versailles, est-ce aussi horrible ? Les œuvres de Versailles et le lieu lui-même n’est-il pas un excès de décoration moulurée et dorée? L’œuvre n’a pas été créée pour le lieu, mais elle n’est peut-être pas aussi parasite qu’on veut bien le croire.
Beauté universelle ?
De tout temps l’artiste a été là pour donner un regard neuf sur son monde, un regard différent qui, à travers son œuvre, nous rendra évident un détail que nous n’aurions pas vu de nous-même. Ce détail nous inspirera peut-être le dégoût, mais au moins nous l’aurons vu. L’art traduit une idée, pas la beauté. Et, quand bien même ce serait la beauté qui est en jeu dans le monde de l’art, nous ne devons pas oublier que c’est d’une perception esthétique dont il est question.
Esthétique venant du grec aesthetikos signifiant « sentir », « percevoir », « ressentir », donc un sentiment personnel, faisant intervenir la subjectivité, ne pouvant donc pas être considéré comme universel. La beauté n’est pas universelle, et heureusement, cela reviendrait à dire qu’elle répond à des critères précis que chacun de nous serait capable de reproduire. L’art n’est pas une formule mathématique.
L’intérêt de l’art n’est-il pas justement l’expression personnelle ?
Défenseurs de l’art
Les critiques et autres soi-disant défenseurs de l’art (depuis quand l’art a-t-il besoin d’être défendu ?) oublient bien souvent leurs cours d’histoire de l’art. On reproche aux artistes « commerciaux » de faire travailler des assistants, mais les plus grands peintres de la Renaissance (entre autres) travaillaient également sous forme d’ateliers et avec des assistants : préparateurs de pigment, peintres spécialisés dans tel ou tel détail ; avec au final une seule signature.
Le problème de ces « défenseurs » face à l’art contemporain est qu’ils le réfutent lorsqu’on ne voit pas la « patte « , la trace de l’artiste. Car l’idée est là, le concept. On ne peut pas ou plus critiquer notre société avec les mêmes outils que les artistes passés. Certes, les premières formes d’art étaient liées à la trace, mais cela n’était pas pour autant un engagement pour l’éternité. Lorsque Christian Boltanski présente au Grand Palais, en Janvier 2010, des tonnes de vêtements dans une atmosphère frigorifique sur sa demande (cf. l’interview parut dans Le Point en Janvier), quel meilleur moyen de montrer la disparition, la mort, l’effet aurait-il été le même qu’une représentation de cette installation en peinture ?
Subversion
Certains pensent que la subversion est devenue le mot d’ordre de l’art contemporain, mais les artistes que nous allons admirer dans les musées, et dont les œuvres se vendent des millions, sont bien souvent morts dans l’ignorance totale.
La subversion fait partie de la notion d’avant-garde. Montrer autre chose que ce qui est établit est ressenti comme une provocation, comme dérangeant. C’est par la subversion, le déplacement des codes de représentation ou de créations que l’art avance. Si c’est le beau qui est recherché, nous nous retrouvons dans une forme de décoration et non de création. Une décoration qui ferait revenir l’art aux arts mécaniques et non libéraux. L’art (re)deviendrait l’artisanat.
« Un monochrome (ou bichrome/trichrome) pff j’en fais autant quand je repeins les murs chez moi ». Combien de fois a-t-on pu entendre cette réflexion ? Rothko ou un autre : « peintre en bâtiment ». Un peintre en bâtiment qui perdait tout de même son temps à passer des dizaines de couches de peinture à l’huile (une couche mettant des heures, des jours, si ce n’est plus, à sécher…) pour obtenir une luminosité chromatique unique.
Je ne suis pas un fervent défenseur de l’art contemporain, mais un critique de la critique demandant aux publics de ne pas se contenter de l’information qu’on lui donne. Faites vous vos idées par vos propres recherches, non pas en prenant les fragments choisis de journalistes qui, en réalité, ne commentent que leur goût personnel et qui n’est pas forcément le vôtre. La critique est une forme de philosophie ou tout peut être dit, tout est une question d’argument. Tout dépend de la manière dont on présente les choses.
Pour finir, je vous propose d’aller voir les œuvres graphiques d’Andy Warhol, vous verrez que ce n’était pas qu’un commercial de son époque, mais qu’il savait également tenir un crayon.