Il va te prendre

Je reste toujours ébahie face aux clichés qui se rapportent aux femmes. Quand on me dit, avant un entretien pour du boulot : «Allez, ne t’en fais pas, fais leur ton plus grand sourire et ils vont te prendre, forcément.» Sous-entendu : ton recruteur est forcément un mâle, et tes compétences intellectuelles n’ont que peu d’intérêt. Par contre, sois jolie, aimable et la balance penchera dans ton sens. Et je ne fais pas de commentaire sur l’utilisation du verbe «Prendre»… non, une jeune fille se doit d’avoir un esprit pur, vierge de toute blague graveleuse.

Célibataire ?

Idem quand j’entends : «Mais comment une jolie fille comme elle peut-elle être encore célibataire ?» Ah bon, jolie, c’est la seule qualité recherchée par les mecs ? Zut… moi qui pensais que l’apparence était un critère beaucoup trop superficiel pour fonder un couple… Quand on me dit : «Oh tu vas faire de la boxe ? Mais tu n’as pas peur d’abîmer ton visage ?» Mon visage je sais pas, mais je suis très proche d’écorcher le tien là… Dans mon cours, il y a des jolis garçons, je ne pense pas qu’on leur ait fait ce genre de remarques… Quand on me dit : «Naaannn, mais t’es une fille, tu peux pas coucher sans avoir des sentiments…» Ou : «Naaannn, mais t’es une fille, tu peux pas comprendre qu’un mec aille voir une prostituée…»

Nous sommes des petites fleurs innocentes

Bien sûr, pour nous les filles, la Pulsion Sexuelle est du domaine du Grand Inconnu, celui qui fait peur, pas celui qui est excitant. Nous n’avons pas besoin de baiser (oups, un gros mot ! Pas très beau dans la bouche d’une fille… http://cestlagene.com/2010/06/18/caca/). Ni d’avoir d’orgasme d’ailleurs, c’est accessoire. Nous, on attend le Prince Charmant pour «faire l’amour». De préférence avec comme objectif : l’Enfant. Mais alors, comme dirait Sophia Aram, qu’est-ce qu’il avait dans la tête, Dieu, quand il a créé le clitoris ?? Nan parce que je vous rappelle que cet organe n’a aucune, mais alors vraiment aucune fonction… L’estomac c’est fait pour digérer, les yeux pour voir, la vessie pour évacuer l’urine, etc… Mais le clitoris ? Je répète la question de Sophia Aram parce qu’il y a encore pas mal de personnes persuadées que le sexe, ce n’est pas vraiment pour les femmes… Les femmes seraient des êtres éthérés, dépourvus de tout besoin sexuel ou presque. Certains vont même jusqu’à utiliser la « nouvelle » mode des sex-toys comme la preuve que nous, les femmes, sommes manipulées par le Grand Méchant Capital qui peut tout nous vendre, même quelque chose d’aussi inutile qu’un objet destiné à nous fournir des orgasmes.

La Femme

Et je ne parle pas de la misogynie encore très présente dans les esprits. Celle qui incite certains à penser que La Femme (comme s’il n’y avait qu’une femme, tirée en 3 milliards et quelques de copies) n’est pas faite pour tel métier, tel sport, telle place dans la société. Celle qui s’immisce si bien dans les têtes que les femmes s’auto-censurent et ne s’orientent pas dans les filières vues comme masculines. Alors même que leurs parcours scolaires sont meilleurs que ceux de leurs homologues masculins. Cette vision dévalorisée les maintient à une place de domestique dans leur foyer et de petites mains dans les bureaux. Je caricature, d’autres articles, d’autres statistiques sont là pour affiner le trait.

Les féministes, c’est rien que des lesbiennes poilues et frigides

Quand je cherche une figure féminine positive, valorisante, mes contemporaines me semblent souvent bien ternes. Il y a bien eu Beauvoir (http://www.babelio.com/livres/Beauvoir-Lettres-a-Nelson-Algren/43457), mais qui a repris le flambeau pour remettre en cause le modèle dominant avec autant d’éclat dans ses oeuvres et dans sa vie privée ? Les féministes passent le plus souvent pour des hystériques rabat-joie. Des femelles frigides, moches et qui détestent les hommes. Donc lesbiennes. D’ailleurs, si quelqu’un pouvait éclairer ma lanterne : pourquoi, parce que je veux les mêmes droits qu’un homme (même accès à l’éducation, même accès aux postes intéressants et bien rémunérés, par exemple, mais aussi droit de sortir quand ça me chante, de faire du jogging à 5h du mat’ si je veux, etc.), je serais forcément moche, frigide et lesbienne ?

Pro sexe !

Parmi les différents courants féministes (oui, surprise ! il en existe plusieurs, parfois en opposition de manière radicale) existe le féminisme pro-sexe. Une de ses représentantes la plus flamboyante est Annie Sprinkle. Le genre qui explose les clichés sus-mentionnés. Née en 1954, cette américaine commence très tôt à explorer sa sexualité. L’époque est propice. Elle commence à se prostituer à 18 ans, rencontre Gerard Damiano, le réalisateur de Deep Throat, devient sa maîtresse et commence une carrière d’actrice-réalisatrice dans le monde du porno, très expérimental dans les années 70. Ce qui différencie Annie Sprinkle des autres femmes dans le monde du porno, en plus de son approche décomplexée du sexe (contrairement à Linda Lovelace ou Betty Page qui renieront leur carrière par la suite), c’est la réflexion qu’elle développe sur la sexualité et la place des femmes dans un monde d’hommes. Cette réflexion qu’elle commence il y a 35 ans dans le porno, elle l’étendra rapidement à toute la société, en posant des questions de prime abord naïves : pourquoi donc une femme nue fait si peur (« Why do ‘citizens have to be protected’ from dancing nude women ? »).

Whore heroes

Au départ, Annie Sprinkle ne se sent pas concernée par le féminisme qu’elle trouve peu réjouissant. Elle n’a rejoint le combat des féministes que pour mieux défendre la cause des prostitué-e-s. (http://anniesprinkle.org/writings/whores_heroes.html). Son combat serait plutôt celui qui permettrait aux femmes d’accepter leur corps au-delà des normes et des tabous qui s’y sont rattachés, siècle après siècle, toutes sociétés confondues, de leur apprendre à connaître ce corps et à ne plus le considérer avec dégoût ou distance. Le travail d’Annie Sprinkle consiste à expérimenter et à diffuser toutes les connaissances liées au plaisir sexuel. Et pour ce faire, elle se met en scène lors de performances, par exemple Public Cervix Announcement : sur scène, à l’aide d’un spéculum, elle permet aux spectateurs d’observer son col de l’utérus. Evidemment ce spectacle crée la polémique. Mais le message est clair : sortir le corps de la femme, et en particulier son sexe, du mystère où on le garde depuis des siècles. L’origine de ce mystère change, auparavant il était lié à la crainte de Dieu, de nos jours, le mystère est encore favorisé par trop de science qui font du corps une sorte de machine, par trop de jargon médical qui éloigne le quidam d’un savoir qui est pourtant accessible

Actrice porno et doctorante

Son site le prouve, son œuvre n’est pas (que) pornographique. Annie Sprinkle possède un humour foudroyant. Ses images sont parfois à la limite du kitsch, mais il faudrait avoir une sacrée dose de mauvaise foi pour y trouver du dégradant (http://anniesprinkle.org/past/ppm-bobsart/script.html). Son travail est reconnu par les universitaires : elle est la première actrice porno à avoir obtenu un doctorat en Sexualité Humaine à l’Institute for Advanced Study of Human Sexuality (San Francisco). Elle est l’objet de thèses de doctorats et d’études se penchant sur la performance artistique. Il ne s’agit pas d’une spécialiste du sexe comme on en voit fleurir dans les magazines féminins (entre autres). Le genre de spécialiste qui donnerait des conseils normés et par là même angoissants pour qui ne se retrouverait pas dans ladite norme. Au contraire, Annie Sprinkle cherche à apporter à chacune et chacun des clés, à ouvrir des pistes. Elle explore les différentes facettes de la sexualité humaine et nous autorise à aller voir au-delà des clichés de plus en plus restreints de la pornographie. De la même façon que chaque personne est unique, sa sexualité l’est également. Donc pas de méthode universelle. Au contraire, son site, reflet de son travail, foisonne de toutes sortes de documents. Photos, vidéos, agenda de ses diverses performances et ateliers, textes. Et tout ça en accès libre!! Annie Sprinkle ne nous fait pas la morale, ne juge jamais, elle fait ce qu’elle aime (encore une de ses particularités, l’amour n’est pas évacué de son discours, bien au contraire) et nous le raconte avec humour souvent. Elle ne nous dit pas de la prendre comme modèle à suivre. Elle s’amuse, elle prend son pied et envoie par-dessus les moulins toutes les crispations qui peuvent éclore dès qu’on parle sexualité ou place des femmes. Comme elle le dit très bien, son corps, son cœur et son âme sont un laboratoire destiné à la recherche sur l’orgasme féminin. Voilà une femme puissante et entière, bien loin de cette conception de la femme uniquement victime qui a tendance à envahir notre quotidien.