C’est la plus grande fuite de renseignement de l’histoire des États-Unis. Le site Wikileaks a obtenu et diffusé 92 000 rapports confidentiels ou secrets de l’armée américaine stationnée en Afghanistan. Les documents couvrent la période de janvier 2004 à décembre 2009, et donnent à voir une guerre déjà perdue mais stagnante, chère en argent et en vies. Les quotidiens The New York Times (USA), The Guardian (GB) et Der Siegel (All.) ont pu visionner, analyser et sélectionner ces rapports depuis plusieurs semaines.
Au moins 195 civils tués
Premier constat à la lecture des documents, le nombre de civils tués ou blessés au cours des années de présence américaine sur le sol afghan a été sciemment sous estimé. Si les villageois sont de plus en plus victimes d’attaques des rebelles, une autre menace pèse sur eux : celle des bavures de la force internationale, surnommées « blue on white » (bleu sur blanc). Les rapports font état de 144 « incidents » de ce type, qui ont causé la mort de 195 personnes et blessé 174 autres.
Un bilan peu glorieux mais qui pourrait être sous-estimé en raison d’incidents non élucidés ou disputés. Dans le Guardian, Rachel Reid, qui enquête sur les incidents touchent des civils en Afghanistan pour Human Rights Watch, ne semble pas surprise : « Ces dossiers mettent en lumière ce qui a été une tendance constante des forces US et de l’OTAN : la dissimulation des victimes civiles. Malgré de nombreuses directives tactiques ordonnant des investigations transparentes quand des civils sont tués, il y a eu plusieurs incidents sur lesquels j’ai enquêté les mois derniers où ce n’est toujours pas le cas. »
Bavures « bleu sur blanc »
Les rapports montrent la multiplication de morts de piétons ou motocyclistes isolés, une augmentation qu’on peut attribuer à la paranoïa croissante des troupes alliées, qui craignent de plus en plus les attaques suicide. Ainsi, en Octobre 2008, des troupes françaises ont ouvert le feu sur un bus qui passait trop près de leur convois. Huit enfants ont été blessés, mais aucune enquête ne semble être en cours. L’utilisation accrue de drones pourrait aussi être responsable d’une partie des victimes civiles, en raison de leur manque de précision, on est loin des frappes chirurgicales…
Là où le bât blesse, c’est que les accidents dits « bleu sur blanc » ont parfois des faux airs de vendettas organisées. En août 2007, une escouade polonaise a lancé une attaque au mortier sur une fête de mariage, justement quelques jours après avoir subi une explosion de bombe artisanale. Bilan de cette offensive : 26 blessés, et 6 morts, dont une femme enceinte. Le rapport sur cette attaque était classé dans une section intitulée « incidents qui pourraient causer une couverture médiatique négative ». Les responsables de ces exactions sont passés en procès pour crime de guerre, sans résultat à ce jour.
Alors que la nouvelle stratégie de l’administration Obama en Afghanistan est de réduire le nombre civils tués (drôlement bonne idée ! un vrai trait de génie, ça !), les rapports discréditent la politique menée. Les civils afghans continuent de tomber, sous les balles alliées ou les tirs rebelles, grands perdants de cette guerre à 300 milliards de dollars qui n’en finit plus.